Les phéromones : un véritable outil de communication

Grâce à l'expérience réalisée précédemment, nous avons compris que les fourmis communiquent essentiellement par le biais d'odeurs et plus précisément grâce à des phéromones. 

Mais que sont les phéromones ? 

Cette notion fut introduite par les chercheurs allemands Karlson et Lüsher en 1959, d'après eux, une phéromone est une substance odorante qui, après avoir été sécrétée à l'extérieur par un individu émetteur, est perçue par un autre individu récepteur de la même espèce, chez lequel elle provoque une réaction comportementale spécifique, voir une modification physiologique. En général on ne parle pas d'une seule phéromone mais plutôt d'un bouquet phéromonale. En effet, les phéromones ne sont pas des corps purs mais des mélanges de différentes substances chimiques. En clair, les phéromones servent de signaux chimiques odorants, certaines peuvent être transportées et détectées à plusieurs kilomètres ! C'est ce qui les différencient des simples molécules odorantes.

On peut donc considérer que les phéromones sont des sortes de messages déterminés par leur composition qualitative mais aussi quantitative. 

Le point étymologique ! 

Saviez-vous que le mot "phéromone" provient du grec ancien ? En effet, "pherein" veut dire : transporter, et "hormân" signifie : exciter. 

D'après le scientifique Wilson en 1962, il existe deux catégories de phéromones, distinguées selon leur mode d'action : Les phéromones de déclenchement qui produisent un changement d'état immédiat et réversible dans le comportement du récepteur. Ainsi que les phéromones modificatrices qui, elles, provoquent des modifications physiologiques chez le récepteur (mais sans changement immédiat dans son comportement) qui lui permettent d'acquérir un nouveau répertoire comportemental qui pourra se manifester ultérieurement. Ces phéromones agissent par exemple dans le déterminisme des castes chez les fourmis.   

Nous nous intéresserons par la suite seulement aux phéromones de déclenchement, car ce sont les plus utilisées dans la communication chimique entre les fourmis. 

Pour un peu plus de précisions !

Les phéromones sont en fait des substances sémiochimiques (des molécules   synthétisées par un organisme vivant, qui interviennent comme moyen de   communication, notamment en modifiant le comportement ou la physiologie   du récepteur).

Les substances sémiochimiques sont divisées en deux grandes catégories :

• Les substances allélochimiques qui ont une action interspécifique, c'est-à-dire qu'elles peuvent agire entre différentes espèces. 

• Les phéromones qui ont une action intraspécifique : les interactions ne se font qu'entre des individus de la même espèce. 

Chaque bouquet phéromonal, en fonction de sa composition correspond à une odeur et donc à un signal particulier. Ainsi les fourmis d'une même espèce communiquent en produisant différentes phéromones correspondant à différents messages. 

Mais quelles sont ces phéromones et à quels messages correspondent-elles ? 

Il existe évidemment un grand nombre de phéromones intervenant dans la communication entre les fourmis, chacune ayant un rôle différent et une composition chimique différente qui varie en fonction des espèces et parfois des colonies ! Ici nous ne présenterons que les principaux types de phéromones. 

Les phéromones d'alarmes ou d'alertes : 

Ces phéromones, comme l'indique leur nom, permettent le plus souvent aux fourmis d'alerter la colonie d'un danger. Dès lors qu'une fourmi sécrète des phéromones d'alarmes, les autres fourmis présentes autour réagissent et secrètent à leur tour ces phéromones, ainsi la colonie entière est très vite prévenue du danger. Après un mouvement de panique lors duquel les fourmis se déplacent à grande vitesse vers le danger, ces dernières adoptent une attitude d'attaque afin de lutter contre le danger (en projetant des jets d'acide formique par exemple). 

Phéromone d'alerte chez l'espèce des Atta Hexana : C₈H₁₆O

Les phéromones de piste :

Ces phéromones permettent aux fourmis de tracer des pistes chimiques utilisées principalement pour l'approvisionnement en nourriture à la fourmilière, mais parfois aussi pour neutraliser un ennemi ou pour le déménagement vers un nouveau nid. Pour réaliser ces pistes chimiques, les fourmis sécrètent ces phéromones en frottant leur aiguillon ou l'extrémité de leur abdomen sur le sol. Ainsi les autres fourmis suivront cette piste jusqu'à la nourriture et déposeront à leur tour des phéromones afin de garder la piste et de la rendre de plus en plus "intense". Ces phéromones ont donc une durée d'action relativement longue (environ 100 secondes). 

 Dans cette expérience les fourmis (F) font des allers-retours vers la nourriture (N) en déposant  des phéromones de pistes sur leur chemin. Des fourmis se mettrons petit à petit à suivre le chemin le plus court et indiqueront aux autres de faire de même en déposant plus de phéromones de pistes sur ce chemin. Ainsi presque toutes les fourmis suivront le chemin le plus court et auront une récolte plus efficace. Quelle coordination ! 

  Phéromone de piste chez l’espèce des Atta Hexana : C₇H₉O₂N

Les phéromones passeports : 

Ces phéromones sont comparables à une carte d'identité pour les fourmis, en effet elle permettent aux autres fourmis de connaître, par contact antennaire, de nombreuses informations sur elles, comme l'espèce, le nid, la caste, le stade de développement... Ces phéromones sont inscrites dans le patrimoine génétique de chaque fourmi. C'est ainsi que tous les membres d'une colonie peuvent repérer leurs camarades mais également les intrus. (Ce sont probablement ces phéromones qui ont été retiré à l'ouvrière lors de la première expérience).

Exemple de phéromone passeport

Les phéromones sexuelles :

Ces phéromones jouent un rôle essentiel lors de la reproduction. En effet, elles permettent aux fourmis d'attirer celles du sexe opposé. La plupart du temps, elles sont émises par les femelles pour attirer les mâles. Ces phéromones ne peuvent être produites que par les femelles sexuées (essentiellement les princesses).

Phéromone sexuelle chez l'espèce des Myrmica Rubra (les fourmis rouges) : C₆H₁₂O

On peut également citer les phéromones de recrutement qui permettent de recruter plusieurs fourmis afin d'aider à la réalisation d'une action (la récolte de nourriture par exemple), les phéromones de territoire (utilisés pour marquer un territoire et pour le repérer, elles ont également un effet répulsif envers les fourmis d'autres colonies, on retrouve ces phéromones chez certains mammifères comme le chat ou le chien, dans l'urine), ou encore, les phéromones d'agrégation, véritable outil pour assurer la cohésion sociale chez les fourmis. 

Nous savons à présent ce que sont les phéromones et quelles sont leurs utilités !

Mais quelles caractéristiques permettent aux phéromones d'assurer leur rôle de message chimique ? 

Les phéromones sont des molécules composées le plus souvent de groupes fonctionnels chimiques dégageant des odeurs. On remarque d'ailleurs dans les exemples de phéromones précédents la présence de certains de ces groupes caractéristiques.

Étudions de plus près ces groupes fonctionnels chimiques ! 

Les molécules odorantes se partagent en deux familles distinctes : 

• Les molécules oxygénées : comme leur nom l'indique, il s'agit de groupes fonctionnels contenant un ou plusieurs atomes d'oxygène. Ce sont les plus odorantes. Elles regroupent:

                            - Les aldéhydes

                            - Les cétones 

                            - Les esters 

• Les molécules hydrocarbures : elles se distinguent par leur composition exclusivement constituée d'atomes de carbone et d'hydrogène. Parmi elles, les plus odorantes sont :

                            - Les alcènes 

                            - Les terpènes  

Dans les phéromones utiles à la communication entre les fourmis on retrouve majoritairement des esters et des cétones, nous ne détaillerons donc que ces deux groupes fonctionnels. 

Les esters, plus précisément les esters carboxyliques ( car il existe des esters dans lesquels à la place du carbone on trouve un atome de souffre, d'azote...), dégagent des arômes puissants donc repérables de très loin. Ce groupe fonctionnel est alors présent en grande quantité dans les phéromones de piste. Il s'agit d'un carbone lié à un oxygène par une double liaison et à un autre oxygène par une liaison simple, lui même lié à une autre chaîne carbonée (R). 

 Un Ester dans l’exemple de phéromone de piste précédent. 

Les cétones sont reconnaissables par un groupement composé d'un carbone ayant une double liaison avec un oxygène, et ce carbone possède également deux liaisons avec des chaînes carbonées.  On retrouve souvent ce composé dans les phéromones d'alerte ou sexuelles. 

Pour mieux comprendre ce qui permet aux phéromones d'assurer leur rôle de message il est également important d'étudier les propriétés physico-chimiques de ces substances. 

La volatilité :

Tout d'abord, une molécule odorante a le plus souvent une masse molaire moyenne comprise entre 30 et 300 g/mol, cela lui permet d'être volatile donc de se vaporiser/ disperser facilement à température ambiante afin qu'une fois sécrété l'air puisse la transporter rapidement jusqu'aux récepteurs olfactifs des fourmis réceptrices. Presque la totalité des substances odorantes sont volatiles. 

L'odeur propre à chaque molécule varie beaucoup selon sa structure. Cependant une classification des odeurs en fonction des structures de leur molécules s'est avérée inefficace, en effet de nombreuses molécules à structure proche ont des odeurs très différentes, et inversement. L'isomérie de certaines molécules odorantes entraîne des odeurs distinctes. 

La polarité :

• Polarité : une caractéristique décrivant la répartition des charges négatives et positives dans un dipôle. Plus les charges sont réparties de façon asymétrique, plus une molécule sera polaire, et au contraire, si les charges sont réparties de façon totalement symétrique, elle sera apolaire.

Presque toutes les molécules odorantes sont apolaires ou très peu polaires. Cette propriété est directement liée à la solubilité, puisque comme on dit souvent "qui se ressemble s'assemble". En effet les composés peu polaires se solubilisent dans les solvants peu polaires, et logiquement, les composés très polaires dans les solvants très polaires. Or il se trouve que l'eau est très polaire, c'est ainsi que les molécules odorantes sont souvent insolubles dans les substances aqueuses, on dit même qu'elles sont hydrophobes. Au contraire, elles sont très solubles dans les corps gras comme l'huile (qui est apolaire), on dit qu'elles sont lipophiles.

• Solubilité : capacité d'une substance à se dissoudre dans un solvant pour former un mélange homogène. 

A présent, les phéromones n'ont plus de secrets pour vous ! Nous comprenons à présent ce qui leurs permettent d'être un outil de communication si efficace !